La Cour européenne des droits de l’Homme considère, dans un arrêt du 10 juillet 2025 (Wulffaert et Wulfaert Beheer NV c. Belgique – requête n°76634/16) qu’en application de l’article 7 de la Convention qui consacre le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, ne peuvent être condamnés, les contrevenants poursuivis pour la réalisation de travaux sans permis d’urbanisme préalable, lorsqu’une législation nouvelle intervient qui exonère ces travaux de permis au moment de leur condamnation.
Les requérants sont deux ressortissants belges ainsi que la société anonyme de droit belge Wulffaert Beheer. L’affaire concerne leur condamnation pénale pour des travaux ayant été réalisés sans autorisation urbanistique.
Les requérants, qui ont été condamnés à une amende pénale d’un montant de 11 000 euros chacun, font valoir qu’un arrêté du Gouvernement flamand était entré en vigueur entre le moment de la commission de l’infraction et le moment de leur condamnation qui exemptait certains des travaux réalisés d’autorisation urbanistique.
Ils ne constestent leur condamnation que pour les actes et travaux, pour lesquels, l’éxonération était intervenue.
Pour les requérant leur condamnation pénale à raison de la réalisation sans autorisation urbanistique d’une allée pavée, d’un sentier en pierre bleue, d’une terrasse à l’arrière, d’une terrasse en bois sur le côté, d’un sentier en brique rouge ainsi que d’un abri de jardin sur leur propriété s’analyse en une violation de l’article 7 de la Convention dès lors que, selon eux, les travaux litigieux n’étaient plus soumis, au moment du prononcé des décisions judiciaires, à une autorisation urbanistique.
Ils estiment que les juridictions internes auraient dû appliquer la loi pénale plus douce et donc les acquitter en ce qui concernait les travaux litigieux en vertu du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce inscrit à l’article 2 alinéa 2 du code pénal belge.
Ils allèguent que la jurisprudence constante de la Cour de cassation, telle qu’elle a également été appliquée en l’espèce, est contraire à l’article 7 de la Convention. Se référant à la jurisprudence de la Cour, ils soutiennent que la notion de « loi » ne vise pas uniquement la loi formelle mais qu’il s’agit d’une notion matérielle à laquelle la Cour donne une étendue plus large. Ainsi, ils estiment que le principe de légalité et celui de rétroactivité de la loi pénale plus douce sont également applicables aux arrêtés d’exécution en cause.
Pour l’Etat belge, le principe de l’application rétroactive de la loi pénale plus douce n’est pas absolu et les juridictions internes ont dégagé plusieurs exceptions à ce principe.
Selon le Gouvernement belge, pour la Cour de cassation, les lois temporaires, les lois de circonstances et les arrêtés d’exécution – tels que ceux en cause dans le cas soumis à la Cour – échappent au principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce lorsque la modification de la loi a trait à l’incrimination et non à la peine, à moins que le législateur n’ait clairement manifesté son intention de renoncer à la répression pour des faits commis dans le passé.
Il précise que le champ d’application de cette exception concerne les lois qui nécessitent des arrêtés d’exécution pour leur mise en œuvre et dans lesquelles elles confèrent un large pouvoir d’exécution. Dans ces cas, la loi détermine, ajoute-t-il, les principes essentiels et attribue expressément à l’exécutif le pouvoir d’établir par arrêté les règles complémentaires qui doivent permettre la mise en œuvre de ces principes.
Le Gouvernement belge explique que cette technique permet d’adapter sans cesse la législation à l’évolution des besoins de la société au moyen d’une procédure souple. Il indique que la justification de cette exception réside dans le caractère modulable des arrêtés d’exécution et de leur adaptation aux besoins du moment.
Pour la Cour, la garantie que consacre l’article 7, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation même en temps de guerre ou d’autre danger public. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, condamnations et sanctions arbitraires.
La Cour rappelle que l’article 7 § 1 de la Convention ne garantit pas seulement le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, mais aussi, et implicitement, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce. Ce principe se traduit par la règle voulant que, si la loi pénale en vigueur au moment de la commission de l’infraction et la loi pénale postérieure adoptée avant le prononcé d’un jugement définitif sont différentes, le juge doit appliquer celle dont les dispositions sont les plus favorables au prévenu.
Pour la Cour, la question qui se pose est donc celle de savoir si l’article 7 de la Convention faisait obstacle à l’application par les tribunaux internes un l’arrêté d’avril 2000 qui soumettait à permis les travaux litigieux au lieu de celle de l’arrêté de juillet 2010 qui les exonère de permis.
Sur ce point, la Cour note que la cour d’appel a considéré que le fait qu’une exemption était désormais prévue par l’arrêté de juillet 2010 n’enlevait rien au caractère répréhensible des faits commis par les requérants lorsqu’était en vigueur l’arrêté d’avril 2000. De la même manière, la Cour de cassation a jugé que les faits qui étaient punissables sous l’empire de l’arrêté d’avril 2000 au moment de leur commission restaient punissables, même si ensuite, en vertu de l’arrêté de juillet 2010, ces faits n’étaient plus répréhensibles au moment du prononcé de la décision judiciaire.
La Cour constate que l’interprétation retenue par les juridictions internes fait l’objet d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce ne s’applique pas aux arrêtés d’exécution pris en vertu d’une loi demeurée inchangée ou ayant maintenu le caractère répréhensible des faits délictueux.
Cependant, la Cour rappelle que la notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 de la Convention correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention. Cette notion englobe le droit écrit comme non écrit.
La Cour a en effet toujours entendu le terme « loi » dans son acception « matérielle » et non « formelle » ; elle y a inclus aussi bien des textes de rang infralégislatif que des textes réglementaires.
Pour la Cour, la notion de « droit » au sens de l’article 7 de la Convention inclut également les arrêtés d’exécution pris par le Gouvernement flamand qui étaient en cause en l’espèce de sorte que le seul fait que l’exemption d’autorisation urbanistique était prévue par un arrêté d’exécution et non pas par un acte ayant force de « loi » au niveau interne ne suffit pas en tant que tel à justifier la non-application du principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, tel qu’il découle de l’article 7 de la Convention.
Or, les arrêtés d’exécution en cause participaient en réalité de la définition de l’infraction. En effet, les décrets concernés, c’est‑à‑dire les « lois » stricto sensu, indiquaient seulement que les constructions sans autorisation urbanistique constituaient une infraction pénale et définissaient les peines applicables.
Lesdits décrets conféraient à l’exécutif le pouvoir de déroger à cette norme en déterminant la liste des travaux ne nécessitant pas une telle autorisation.
Les arrêtés d’exécution adoptés en vertu de ces décrets listaient les travaux qui n’étaient pas soumis à une autorisation urbanistique.
Dans cette mesure, les indications contenues dans les arrêtés d’exécution d’avril 2000 et de juillet 2010 étaient déterminantes pour établir l’infraction et la responsabilité pénale des intéressés.
Enfin, la Cour constate que la jurisprudence de la Cour de cassation telle qu’elle a été appliquée dans le cas d’espèce aboutit à la situation paradoxale que les requérants ont été condamnés, outre l’amende pénale, à détruire les constructions litigieuses sans toutefois qu’aucune disposition légale ne leur interdise de procéder, au moment de leur condamnation, aux mêmes travaux sans autorisation urbanistique préalable, puisque ces travaux n’étaient plus soumis à une telle autorisation.
La Cour en conclut qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention.
Pour accéder à l’arrêt suivez le lien : https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-244006%22]}.