L’arrêt répond à une demande de décision préjudicielle soumise à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par la Cour de Budapest-Capitale et porte sur l’interprétation du règlement (UE) n° 995/2010, qui instaure des obligations de diligence pour les opérateurs mettant du bois ou des produits dérivés sur le marché de l’Union. Ce règlement vise à lutter contre l’exploitation illégale des forêts et le commerce de bois issu de récoltes illégales. Plus précisément, la question concerne l’usage, par une filiale, d’un système de diligence raisonnée (SDR) élaboré par sa société mère ou utilisé par celle-ci via une organisation de contrôle.
- Contexte juridique
Le règlement n° 995/2010 impose aux opérateurs l’obligation d’éviter la mise sur le marché de bois illégal. Pour ce faire, l’article 4 exige que tout opérateur utilise un SDR, comprenant trois éléments essentiels définis à l’article 6 :
- Accès à l’information sur la provenance du bois (pays, essence, quantité, fournisseurs, documents de légalité).
- Évaluation du risque que le bois soit issu d’une récolte illégale.
- Atténuation du risque si celui-ci n’est pas négligeable (informations supplémentaires, vérification tierce, etc.).
L’article 4 §3 prévoit en outre que l’opérateur doit maintenir et évaluer régulièrement son SDR, sauf s’il utilise un SDR établi par une organisation de contrôle reconnue par l’UE (article 8).
Le règlement d’exécution n° 607/2012 précise certaines modalités, notamment les critères que doivent remplir les certifications tierces pour être intégrées dans l’évaluation du risque, ainsi que les exigences en matière de tenue de registres.
- Litige au principal
La société hongroise JYSK Kereskedelmi Kft., filiale d’un groupe danois, importe du bois de pays tiers. Lors d’un contrôle en 2023, l’autorité hongroise compétente, le Nemzeti Élelmiszerlánc-biztonsági Hivatal (Office national de la sécurité de la chaîne alimentaire), constate que JYSK ne dispose pas d’un SDR propre. Elle utilise en effet un SDR développé et maintenu par sa société mère au Danemark, SDR également fondé sur des évaluations réalisées par une organisation de contrôle.
L’autorité impose une amende à JYSK et l’oblige à créer son propre SDR. JYSK conteste, affirmant que :
- le règlement impose seulement l’usage d’un SDR, pas nécessairement son élaboration personnelle ;
- un SDR élaboré par la société mère et partagé dans tout le groupe est suffisant.
L’autorité estime au contraire que chaque filiale, en tant qu’« opérateur », doit disposer d’un SDR propre et adapté à son activité.
- Question posée à la CJUE
La juridiction hongroise demande si un opérateur peut satisfaire à ses obligations en utilisant un SDR auquel il a seulement accès, établi et entretenu par :
- sa société mère, ou
- une organisation de contrôle, mais utilisée uniquement par la société mère.
Ou bien si l’opérateur doit disposer d’un SDR établi en son propre nom, spécifiquement pour son activité.
- Analyse de la CJUE
4.1. Interprétation littérale
L’article 4 §2 oblige l’opérateur à « utiliser » un SDR comprenant les éléments définis à l’article 6 §1. Même si le terme « utiliser » n’implique pas explicitement une obligation d’élaborer soi-même le SDR, plusieurs points conduisent la CJUE à une interprétation stricte :
- Le SDR doit être activement mis en œuvre par l’opérateur.
- Les trois éléments du SDR doivent être adaptés à l’activité commerciale propre de l’opérateur.
- Le règlement prévoit uniquement la possibilité de déléguer le maintien et l’évaluation du SDR à une organisation de contrôle, jamais à un tiers ordinaire (comme une société mère).
- Le règlement n’autorise pas l’opérateur à confier à un tiers l’obligation d’utiliser un SDR.
Ainsi, le simple accès à un SDR élaboré par un tiers ne suffit pas.
4.2. Interprétation contextuelle
Les articles 4, 6 et 10 du règlement exigent que l’opérateur puisse démontrer aux autorités :
- les informations collectées sur le bois,
- les procédures d’évaluation et d’atténuation du risque,
- les registres et décisions ayant conduit à la mise sur le marché.
Un contrôle efficace serait impossible si l’opérateur se limitait à présenter un SDR dont il ne maîtrise ni l’élaboration, ni l’évaluation, ni l’adaptation. L’opérateur doit être en mesure d’agir rapidement si des lacunes sont détectées.
La CJUE considère donc qu’un SDR « partagé » au niveau d’un groupe ne répond pas aux exigences du règlement.
4.3. Interprétation téléologique
L’objectif du règlement est de prévenir activement la mise sur le marché de bois illégal. Cet objectif implique un comportement proactif et autonome de chaque opérateur.
La CJUE insiste :
- Seul l’opérateur lui-même connaît avec précision les caractéristiques de ses approvisionnements.
- Permettre à une filiale d’utiliser passivement le SDR de sa société mère compromettrait l’efficacité du dispositif européen.
Le règlement vise une responsabilité directe et individuelle de chaque opérateur. Le fait qu’une société mère assume certaines obligations ne dispense pas la filiale de ses propres responsabilités.
La Cour admet que cette obligation peut être coûteuse et générer une charge administrative, mais rappelle que le règlement prévoit déjà une dérogation limitée : la possibilité d’utiliser un SDR élaboré par une organisation de contrôle reconnue, ce qui garantit un niveau d’exigence homogène et encadré.
Étendre cette possibilité à d’autres “tiers” — comme une société mère — constituerait un contournement contraire au règlement.
- Conclusion (dispositif)
La CJUE répond que :
- Non, un opérateur appartenant à un groupe ne satisfait pas aux obligations du règlement 995/2010 s’il se contente d’accéder au SDR de sa société mère.
- Il ne suffit pas non plus que le SDR soit établi par une organisation de contrôle si ce SDR n’est pas utilisé directement par l’opérateur lui-même, mais uniquement par la société mère.
- Chaque opérateur doit :
- utiliser un SDR pour ses propres importations,
- maintenir et évaluer ce système, sauf s’il utilise un SDR établi par une organisation de contrôle reconnue.
En résumé, l’obligation est individuelle : chaque filiale doit disposer d’un SDR propre ou utiliser directement un SDR d’une organisation de contrôle. L’accès à un SDR établi ou utilisé par la société mère ne suffit pas.
Pour accéder à l’arrêt, suivez le lien : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=BE79C910D987A3ACB12F055D26BD7BDE?text=&docid=306139&pageIndex=0&doclang=fr&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=7556849.

