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Par arrêt du 20 novembre 2025 (C-204/24), la Cour de justice de l’Union européenne condamne l’Irlande pour ne pas avoir transposé correctement de nombreuses dispositions de la directive 2000/60/CE, dite « directive-cadre sur l’eau » en droit irlandais

Par arrêt du 20 novembre 2025 (C-204/24), la Cour de justice de l’Union européenne condamne l’Irlande pour ne pas avoir transposé correctement de nombreuses dispositions de la directive 2000/60/CE, dite « directive-cadre sur l’eau » en droit irlandais.

Contexte général de l’affaire

La Cour de justice de l’Union européenne est saisie d’un recours en manquement introduit par la Commission européenne contre l’Irlande. La Commission reproche à cet État membre une transposition incomplète ou incorrecte de nombreuses dispositions de la directive 2000/60/CE, dite « directive-cadre sur l’eau » (DCE). Les passages commentés par la Cour concernent plus spécifiquement plusieurs griefs relatifs à l’absence ou à l’insuffisance de mesures nationales assurant la mise en œuvre des obligations techniques liées à la gestion, la surveillance, l’évaluation et la prévention de la pollution des eaux de surface et souterraines.

La directive impose aux États membres de définir, surveiller et protéger l’état écologique et chimique des masses d’eau. Elle comporte des annexes techniques détaillant les méthodologies à suivre. La Commission soutient que l’Irlande n’a pas correctement transposé plusieurs de ces aspects essentiels, parfois très techniques, mais obligatoires, de la directive.

Différents griefs sont soulevés par la Commission.

Premier grief : transposition incomplète de la définition des « services liés à l’utilisation de l’eau » (article 2, point 38, de la directive 2000/60)

La Commission estime que l’Irlande n’a pas transposé correctement la définition européenne des « services liés à l’utilisation de l’eau ». Elle reproche à l’ordre juridique irlandais de contenir deux définitions concurrentes :

  • celle du règlement de 2003, conforme par renvoi à la directive ;
  • celle de la loi de 2007 sur les services liés à l’utilisation de l’eau, plus restrictive, excluant notamment le captage et l’endiguement, et ne couvrant pas certains opérateurs privés.

Cette coexistence créerait un manque de clarté juridique, notamment pour savoir si les activités de captage et d’endiguement doivent être incluses dans les règles nationales de récupération des coûts, obligation imposée par l’article 9 de la directive. La Commission souligne également que la loi de 2022 relative au captage ne qualifie pas non plus ces activités de « services liés à l’utilisation de l’eau ».

L’Irlande soutient au contraire que :

  • la définition introduite en 2022 dans le règlement de 2003 clarifie la transposition ;
  • la loi de 2007 n’a pas vocation à transposer la directive et opère dans un champ différent ;
  • aucune lacune n’existe puisque le règlement de 2003 couvre tous les usages pertinents.

La Cour retient l’argument de la Commission. Elle rappelle que la transposition doit être claire, précise et juridiquement certaine. La coexistence de deux définitions entraîne une incertitude, notamment pour les autorités publiques soumises aux deux textes. La Cour constate que la loi de 2007 a été notifiée comme mesure de transposition et peut en pratique influencer l’application de la directive. Dès lors, la transposition est jugée incomplète, et le grief est fondé.

Deuxième grief : transposition incomplète de l’article 4, paragraphe 2, relatif aux objectifs environnementaux

L’article 4, §2, oblige les États membres à appliquer l’objectif le plus strict lorsque plusieurs objectifs environnementaux concernent une même masse d’eau. La Commission reproche à l’Irlande de n’avoir prévu aucune règle interne appliquant cette hiérarchie pour :

  • les eaux souterraines,
  • les zones protégées.

L’Irlande affirme que l’article 12 du règlement de 2003, imposant aux autorités irlandaises de « fixer des objectifs environnementaux conformément à l’article 4 », suffit pour transposer l’obligation. Elle reconnaît néanmoins avoir renforcé cette formulation en 2022 et annonce une mise en conformité ultérieure.

La Cour rejette la défense de l’Irlande. Le renvoi général à « l’article 4 » ne suffit pas à transposer l’obligation spécifique d’appliquer l’objectif le plus strict, qui exige une inscription claire et explicite dans le droit interne. La Cour note également l’absence d’explication par l’Irlande justifiant pourquoi seules les eaux de surface auraient bénéficié d’une transposition explicite avant 2022.

Le grief est donc fondé, les modifications postérieures à 2020 ne pouvant être prises en compte.

Troisième grief : absence de transposition de l’article 5, paragraphe 2, sur le réexamen des analyses

L’article 5 impose aux États membres de réaliser une série d’analyses (caractéristiques hydrologiques, incidences humaines, analyse économique), puis de les réexaminer tous les six ans. L’Irlande avait transposé ce réexamen à l’article 7, §6 du règlement de 2003, mais cette disposition a été abrogée par inadvertance en 2014. La Commission constate qu’aucune disposition nationale ne transpose aujourd’hui cette obligation.

L’Irlande reconnaît l’oubli et annonce une future retransposition.

Pour la Cour, l’intention de l’État est sans pertinence : que la défaillance résulte d’une volonté ou d’une négligence, l’obligation objective n’est pas remplie. La suppression accidentelle de la disposition transposant l’article 5, §2 constitue un manquement.
Le grief est donc fondé.

Quatrième grief : transposition incomplète de l’article 7, paragraphe 3, relatif à la protection des eaux destinées à l’eau potable

L’article 7, §3 impose aux États membres :

  1. de protéger les masses d’eau utilisées ou destinées à être utilisées pour produire de l’eau potable, afin de réduire le traitement nécessaire ;
  2. d’évaluer la nécessité d’établir des zones de sauvegarde.
  1. a) Concernant les eaux souterraines

La Commission affirme que le droit irlandais ne contient aucune obligation spécifique de protection répondant aux exigences de l’article 7, §3. Les seules dispositions existantes — interdiction générale de polluer et obligation de protéger les eaux — ne suffisent pas à transposer l’obligation précise de prévention de la détérioration des sources d’eau potable.

L’Irlande admet qu’elle devra modifier son droit interne, notamment le règlement de 2010 sur les eaux souterraines, mais soutient que la directive laisse une marge d’appréciation quant aux moyens.

La Cour rappelle que, même si les États peuvent choisir les outils, l’obligation elle-même doit être clairement inscrite en droit national. Elle constate qu’aucune disposition interne applicable avant fin 2020 ne transposait spécifiquement l’obligation de prévention de la détérioration des eaux souterraines destinées au captage. Le grief est donc fondé sur ce point.

  1. b) Concernant les eaux de surface

La Commission reconnaît que le règlement de 2009 reproduit textuellement l’article 7, §3, mais estime que la transposition est incomplète :

  • les mesures concrètes de mise en œuvre ne sont pas identifiées ;
  • les autorités chargées d’appliquer cette obligation (Irish Water, réseaux groupés) ne sont pas clairement mentionnées.

L’Irlande rétorque que les mesures figurent dans le plan de gestion des bassins hydrographiques 2018–2021 et que la répartition des responsabilités résulte du règlement de 2023 sur l’eau potable.

La Cour rejette ces arguments :

  • un plan de gestion n’a pas force contraignante suffisante pour transposer une obligation normative ;
  • les textes invoqués ne peuvent être pris en compte car postérieurs au 30 décembre 2020 ;
  • la directive exige une base juridique claire et un dispositif contraignant.

Ainsi, la transposition concernant les eaux de surface est également jugée incomplète.

5ème grief – Transposition incomplète de l’article 9, §2, de la directive 2000/60 (politique de tarification et récupération des coûts)

La Commission reproche à l’Irlande de ne pas avoir transposé correctement l’obligation faite aux États membres de rendre compte, dans les plans de gestion de district hydrographique, des mesures mises en œuvre pour appliquer la politique de tarification de l’eau (article 9, §1) et de la contribution des différents secteurs économiques (industriel, domestique, agricole) au recouvrement des coûts des services liés à l’eau.

Selon la Commission, la législation irlandaise (notamment l’article 13 du règlement de 2003) se limite à un renvoi général à la directive et ne précise pas les éléments que le rapport national doit obligatoirement contenir. Cette méthode par renvois successifs (« triple renvoi ») ne garantit pas la clarté, la précision et la force contraignante requises pour une transposition correcte. La Commission souligne aussi que le deuxième plan de gestion irlandais ne permet pas d’identifier la contribution des secteurs industriel et agricole à la récupération des coûts, et qu’il ne détaille pas comment la politique tarifaire incite à l’usage efficace de l’eau.

L’Irlande soutient au contraire que les renvois opérés dans le droit interne sont suffisants, que les plans de gestion réalisés ont effectivement comporté une analyse économique conforme, et qu’elle a depuis renforcé sa législation (loi de 2007, loi de 2013, règlement de 2022). Elle invoque également la marge d’appréciation des États membres dans la mise en œuvre de l’article 9.

La Cour rejette ces arguments : elle considère que la transposition irlandaise ne détaille pas les éléments nécessaires du rapport exigé par l’article 9, §2, et que les plans de gestion ne peuvent suppléer l’absence de transposition claire. La Cour confirme donc le manquement.

Griefs 6 à 9 – Absence de transposition de l’article 11, §3, a) à d), concernant les “mesures de base” relatives aux eaux souterraines

Ces griefs portent sur l’absence de transposition spécifique des quatre premières catégories de mesures de base prévues par l’article 11, §3, de la directive, appliquées aux eaux souterraines :

  1. a) mesures requises par la législation européenne relative à l’eau ;
    b) mesures adéquates au sens de l’article 9 (récupération des coûts) ;
    c) mesures favorisant une utilisation efficace et durable ;
    d) mesures nécessaires au respect de l’article 7 (captages pour eau potable).

La Commission estime que, si l’Irlande a transposé ces mesures pour les eaux de surface (via le règlement de 2009), elle n’a pas adopté d’équivalent concernant les eaux souterraines.

L’Irlande répond que ces obligations sont transposées par le règlement de 2003, en particulier par son article 12, §2, et par l’article 3 imposant aux autorités publiques d’exercer leurs fonctions conformément à la directive. Elle ajoute avoir modifié en 2022 ce dispositif pour le rendre plus explicite et promet de nouvelles modifications avant fin 2024.

La Cour juge cependant que les dispositions invoquées sont trop générales :

  • l’article 3 du règlement de 2003 impose seulement un devoir général de compatibilité avec la directive ;
  • l’article 12, §2, ne fait qu’indiquer que les programmes de mesures doivent inclure les « mesures de base », sans les détailler.

Cela ne constitue donc pas une transposition claire et précise. La Cour souligne en outre que l’Irlande ne peut transposer les mesures de base relatives à l’article 9 ou à l’article 7 puisqu’elle n’a pas non plus transposé correctement ces articles eux-mêmes (griefs 5 et 4 confirmés). Par conséquent, les griefs 6 à 9 sont fondés.

10ème grief – Transposition incorrecte de l’article 11, §3, e) (contrôle des captages et des endiguements)

La directive impose aux États membres de mettre en place :

  • un contrôle des captages d’eau douce (surface et souterraine),
  • un contrôle des endiguements,
  • un registre des captages,
  • un système d’autorisation préalable,
  • avec possibilité d’exempter seulement les captages sans incidence significative sur l’état des eaux.

Pour la Commission, ni le règlement de 2003, ni le règlement de 2009 sur les eaux de surface ne transposent cette obligation. Surtout, le règlement irlandais de 2018 impose un seuil d’enregistrement des captages de 25 m³/jour, alors que des captages plus faibles peuvent avoir un impact significatif. Par ailleurs, la loi irlandaise de 2022 sur les captages et endiguements n’était pas entrée en vigueur au moment pertinent et dépendait de futurs règlements d’application.

L’Irlande défend sa position :

  • elle estime que le règlement de 2003, complété par d’autres textes, assure la transposition de l’article 11 ;
  • elle considère que le seuil de 10 m³/jour mentionné par la Commission (issu de l’article 7, §1) ne s’applique pas ici ;
  • elle affirme que la loi de 2022, entrée en vigueur en 2024, règle définitivement la question.

La Cour reconnaît que le seuil de 10 m³/jour n’est pas directement applicable. Cependant, elle confirme que le seuil national de 25 m³/jour est trop élevé, car il permet d’exempter des captages qui pourraient avoir une incidence significative sur l’état des eaux, ce qui est contraire à l’article 11, §3, e). Elle considère également que les textes irlandais ne définissent pas de manière suffisamment précise le cadre des contrôles. Le grief n°10 est donc fondé.

11ème grief : transposition de l’article 11, paragraphe 3, sous i)

  1. Première branche : absence de système d’autorisation ou d’enregistrement contraignant pour les eaux de surface

Selon l’article 11, paragraphe 3, sous i), les États membres doivent adopter des « mesures de base » afin de garantir que les conditions hydromorphologiques des masses d’eau artificielles ou fortement modifiées permettent d’atteindre un bon état ou un bon potentiel écologique. Pour y parvenir, la directive prévoit la possibilité d’instaurer des contrôles prenant la forme d’une autorisation préalable ou d’un enregistrement fondé sur des règles générales contraignantes.

La Cour observe que, bien que le droit irlandais (règlement de 2009 sur les eaux de surface) reprenne formellement cette exigence, l’Irlande n’a pas démontré l’existence, en droit interne, de règles générales contraignantes établissant un système effectif de contrôle hydromorphologique. L’État défendeur se limite à évoquer l’existence de plusieurs « systèmes de contrôle détaillés » sans expliciter leur base juridique.

La Cour conclut que cette branche est fondée : la transposition est incomplète concernant les eaux de surface.

  1. Seconde branche : portée de l’obligation à l’égard des eaux souterraines

La Commission soutenait que l’article 11, paragraphe 3, sous i), devait également couvrir les eaux souterraines, directement ou indirectement. La Cour rejette cet argument : les masses d’eau artificielles ou fortement modifiées visées par cette disposition relèvent uniquement des eaux de surface.

L’argument de la Commission, invoqué tardivement en réplique, selon lequel les incidences indirectes sur les eaux souterraines devraient aussi être prises en compte, n’est étayé par aucun élément juridique. La charge de la preuve n’a pas été satisfaite.

La seconde branche est donc rejetée.

Conclusion sur le onzième grief : partiellement fondé (eaux de surface), rejeté pour les eaux souterraines.

12ème grief : absence de transposition de l’article 11, paragraphe 3, sous l)

Cette disposition impose aux États membres d’adopter des mesures destinées à prévenir les fuites importantes de polluants, ainsi que les accidents de pollution susceptibles d’affecter les écosystèmes aquatiques, y compris les eaux souterraines.

La Commission reproche à l’Irlande de ne pas avoir introduit un système clair de détection, d’alerte et de prévention concernant les eaux souterraines. L’Irlande invoque les articles 3 et 12 du règlement de 2003, complétés par le règlement de 2009, et affirme qu’ils couvrent déjà ces obligations ; elle s’engage toutefois à modifier le règlement de 2010 sur les eaux souterraines.

La Cour rejette l’argumentation irlandaise, renvoyant à ses appréciations précédentes : les dispositions invoquées ne suffisent pas à transposer correctement les exigences précises de l’article 11, paragraphe 3, sous l).

Le douzième grief est donc fondé.

13ème grief : absence de transposition des points 1.4 et 1.5 de l’annexe II

  1. Nature des exigences non transposées

Ces deux points de l’annexe II portent sur :

  • 1.4 : Identification des pressions anthropogéniques, notamment les sources de pollution, les captages, les altérations du débit ou de la morphologie, etc.
  • 1.5 : Évaluation des incidences de ces pressions sur l’état des masses d’eau.

Ces éléments sont centraux dans la caractérisation des districts hydrographiques exigée par l’article 5 de la directive.

  1. Analyse de la Cour

La Cour constate qu’à la date limite fixée dans l’avis motivé (décembre 2020), aucune disposition irlandaise ne transposait ces exigences. L’Irlande affirmait que l’EPA disposait du pouvoir d’apprécier l’étendue des pressions à analyser, compte tenu de la technicité des annexes.

La Cour rejette cet argument : si les exigences techniques peuvent être mises en œuvre par une autorité spécialisée, encore faut-il que la loi nationale encadre clairement leur mission et leur confère l’obligation d’appliquer les critères prévus par la directive. Or le règlement de 2003 se contente de confier aux autorités locales une analyse générale, sans intégrer les critères obligatoires des points 1.4 et 1.5.

Elle précise néanmoins que la transposition n’exige pas une reprise textuelle exhaustive des annexes, mais impose un encadrement suffisant définissant les tâches et critères à respecter.

Le treizième grief est fondé.

14ème grief : absence de transposition de plusieurs dispositions de l’annexe V

  1. Exigences en cause

La Commission reproche à l’Irlande de ne pas avoir transposé :

  • les points 1.3.1 à 1.3.5 de l’annexe V, relatifs à la surveillance de l’état écologique et chimique des eaux de surface ;
  • le point 2.4.5 (premier alinéa), concernant l’interprétation et la présentation de l’état chimique des eaux souterraines.

Ces éléments sont essentiels pour la mise en œuvre de l’article 8 sur les programmes de surveillance.

  1. Appréciation de la Cour

La Cour souligne que, bien que le règlement de 2003 impose à l’EPA d’établir un programme de surveillance, aucune norme interne ne transpose les critères techniques de l’annexe V. La seule référence générale à l’annexe dans des modifications ultérieures est insuffisante.

L’argument selon lequel l’EPA appliquerait de facto ces critères est rejeté : une transposition ne peut reposer sur la seule pratique administrative.

Le quatorzième grief est donc fondé.

Conclusion générale de la Cour

La Cour constate que l’Irlande :

  • a manqué à ses obligations pour une large série de dispositions de la directive 2000/60 (article 2(38), article 4(2), article 5(2), article 7(3), article 9(2), article 11(3)(a)-(d) pour les eaux souterraines, article 11(3)(e), article 11(3)(i) pour les eaux de surface, article 11(3)(l) pour les eaux souterraines, points 1.4 et 1.5 de l’annexe II, points 1.3.1 à 1.3.5 et 2.4.5 de l’annexe V).
  • n’a pas manqué à son obligation concernant la seconde branche du grief relatif à l’article 11, paragraphe 3, sous i), pour les eaux souterraines.

 

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