A l’occasion d’un litige qui oppose des exploitants forestiers estoniens en réparation du préjudice lié à l’immobilisation, puis au déplacement de son matériel forestier, qui lui aurait été causé par l’Office de l’environnement du fait de deux injonctions les concernant, considérées comme disproportionnées (interdiction totale de coupes forestières pendant environ un mois et demi) au regard du nombre d’oiseaux nichant sur le terrain, des périodes de nidification de ces oiseaux, saisie de pourvois, la Cour suprême d’Estonie, qui est la juridiction de renvoi, se pose, la question de savoir si la notion d’« intentionnalité », au sens de l’article 5 de la directive « oiseaux », doit être comprise de la même manière que dans le cas de l’article 12 de la directive « habitats », c’est-à-dire en ce sens, notamment, que la condition relative au caractère intentionnel doit être considérée comme étant satisfaite non seulement lorsqu’il est établi que l’auteur de l’acte a voulu la mise à mort ou la perturbation d’un spécimen des oiseaux ou bien la destruction ou l’endommagement de leurs nids ou de leurs œufs, mais également lorsqu’il est établi qu’il a, à tout le moins, accepté la possibilité d’une telle mise à mort, perturbation, destruction ou endommagement.
Dans l’hypothèse où tel est le cas, la Cour suprême d’Estonie souhaite savoir, quelles sont les circonstances qui suffisent pour conclure à l’existence d’une telle acceptation.
En outre, la Cour souhaite savoir, dans l’hypothèse où les coupes en cause au principal impliquent une intention de tuer ou de perturber les oiseaux ou encore de détruire ou d’endommager leurs nids ou leurs œufs, si l’article 9 de la directive « oiseaux » permet de déroger aux interdictions prévues son l’article 5, sous a), b) et d).
Enfin, la Cour suprême d’Estonie savoir en cas d’impossibilité d’octroyer une dérogation ou de conditions trop strictes, si la disposition n’est pas, en raison de son caractère disproportionné, contraire à la liberté d’entreprise et au droit fondamental de propriété consacrés aux articles 16 et 17 de la Charte, si bien que se poserait, le cas échéant, la question de la conformité de la directive « oiseaux » aux traités et de la validité de celle-ci.
Dans ces conditions, la Cour suprême d’Estonie a, par arrêt du 19 décembre 2023, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 5, sous a), b) et d), de la [directive “oiseaux”] peut-il être interprété en ce sens que les interdictions qu’il prévoit ne s’appliquent que dans la mesure où elles sont nécessaires pour maintenir la population des espèces d’oiseaux concernées, au sens de l’article 2 de cette directive, à un niveau qui correspond notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles, à condition que l’activité concernée n’ait pas pour objet de tuer ou de perturber les oiseaux, ou encore de détruire ou d’endommager leurs nids ou leurs œufs ?
2) L’article 5, sous a), b) et d), de la [directive “oiseaux”], lu en combinaison avec l’article 2 de cette directive, doit-il être interprété en ce sens que les actes interdits à ces dispositions sont intentionnels durant la période de reproduction des oiseaux, notamment lorsque les données scientifiques et les observations de différents oiseaux permettent de considérer que la forêt dans laquelle il est prévu de procéder à un abattage complet des arbres (coupe à blanc) abrite environ dix couples d’oiseaux nicheurs par hectare, sans que soit établie la présence d’une nidification d’espèces d’oiseaux dans un état de conservation défavorable dans la zone d’abattage ?
3) L’article 5, sous a), b) et d), de la [directive “oiseaux”], lu en combinaison avec l’article 2 de cette directive, doit-il être interprété en ce sens que les actes interdits à ces dispositions sont intentionnels durant la période de reproduction des oiseaux, notamment lorsque les données scientifiques et les observations de différents oiseaux permettent de considérer que la forêt dans laquelle il est prévu de ne procéder qu’à un abattage partiel des arbres (coupe d’éclaircie) abrite environ dix couples d’oiseaux nicheurs par hectare, sans qu’il y ait des raisons de supposer la présence d’une nidification d’espèces d’oiseaux dans un état de conservation défavorable dans la zone d’abattage ?
4) L’article 9, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, de la [directive “oiseaux”], lu en combinaison avec l’article 2 de cette directive, peut-il être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui permet de déroger aux interdictions prévues à l’article 5, sous a), b) et d), de ladite directive pour réaliser des coupes à blanc durant la période de reproduction et de dépendance des oiseaux, afin de prévenir les dommages importants à la forêt en tant que forme de propriété ?
5) L’article 9, paragraphe 1, sous a), troisième tiret, de la [directive “oiseaux”], lu en combinaison avec l’article 2 de cette directive, peut-il être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre qui permet de déroger aux interdictions prévues à l’article 5, points a), b) et d), de ladite directive pour réaliser des coupes d’éclaircie durant la période de reproduction et de dépendance des oiseaux, afin de prévenir les dommages importants à la forêt en tant que forme de propriété ?
6) Si la [directive “oiseaux”] ne permet pas la réalisation, afin de prévenir les dommages importants à la forêt en tant que forme de propriété, de coupes à blanc durant la période de reproduction et de dépendance des oiseaux, une telle réglementation est-elle conforme aux articles 16 et 17 de la [Charte] et est-elle valide, quand bien même ces coupes ne porteraient pas atteinte à des espèces d’oiseaux dans un état de conservation défavorable ?
7) Si la [directive “oiseaux”] ne permet pas la réalisation, afin de prévenir les dommages importants à la forêt en tant que forme de propriété, de coupes d’éclaircie durant la période de reproduction et de dépendance des oiseaux, une telle réglementation est-elle conforme aux articles 16 et 17 de la [Charte] et est-elle valide, quand bien même ces coupes ne porteraient pas atteinte à des espèces d’oiseaux dans un état de conservation défavorable ? »
Répondant aux trois premières questions, la Cour de Justice de l’Union européenne, dans un arrêt du 1er août 2025 (C-734/23) a considéré que l’article 5, de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages qui prévoit que :
« les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction :
- a) de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ;
- b) de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids ;
- c) de ramasser leurs œufs dans la nature et de les détenir, même vides ;
- d) de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ;
- e) de détenir les oiseaux des espèces dont la chasse et la capture ne sont pas permises.»
doit être inteprété en ce sens que :
1.
L’interdiction prévue à cet article 5, sous d), ne s’applique qu’à la condition qu’elle soit nécessaire pour prévenir des perturbations qui auraient un effet significatif sur l’objectif, visé à l’article 2 de cette directive, de maintenir ou d’adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux vivant naturellement à l’état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel les traités sont applicables à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles.
Par contre, les interdictions énoncées à l’article 5, sous a) et b), de ladite directive ne sont pas subordonnées à une telle condition, même lorsque l’objet de l’activité humaine concernée est autre que la capture ou la mise à mort des oiseaux ou la destruction ou l’endommagement de leurs nids ou de leurs œufs.
2.
Les interdictions prévues par cet article 5 a), b) et d) s’appliquent à la réalisation d’abattages d’arbres durant la période de reproduction, lorsque les données scientifiques et les observations de différents oiseaux permettent de considérer que la forêt dans laquelle il est prévu de procéder à un abattage complet des arbres (coupe à blanc) ou à leur abattage partiel (coupe d’éclaircie) abrite environ dix couples d’oiseaux nicheurs par hectare, sans que soit établie la présence d’une nidification d’espèces d’oiseaux dans un état de conservation défavorable dans la zone d’abattage, à condition que la perturbation que ces abattages comportent ait un effet significatif sur l’objectif de maintenir ou d’adapter à un niveau satisfaisant la population des espèces d’oiseaux concernées.
Elle estime que les quatrième à septième questions revêtent un caractère hypothétique et sont dès lors irrecevables.
L’arrêt est disponible via le lien suivant : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=303009&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=1753310