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Dans un arrêt du 11 décembre 2025 (n° 172/2025), la Cour constitutionnelle a considéré que l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant la liberté d’expression peut servir de fondement légal à une cause d’excuse dans le cadre de poursuites pénale dirrigées contre des activistes climatiques

Dans un arrêt du 11 décembre 2025 (n° 172/2025), la Cour constitutionnelle a considéré, dans le cadre de poursuites pénales dirigées contre des activistes climatiques justifiant la commission d’un vol par l’usage de la liberté d’expression, que l’article 78 du Code pénal qui prévoit la légalité des causes d’excuse, ne violait pas l’article 19 de la Constitution lu en combinaison avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (garantissant, tous deux, la liberté d’expression), qui peuvent servir de fondement légal à une cause d’excuse.

Les rétroactes sont les suivants :

Des activistes climatiques sont pris en flagrant délit de vol de bâches publicitaires pour des voitures hybrides à Liège.

Ils avaient pour but de les modifier en y ajoutant des slogans et de les exhiber dans le cadre d’une manifestation „climatique“.

Poursuivis devant le tribunal correctionnel de Liège, ceux-ci avaient été acquittés en date du 14 déc. 2023 (F. Dessy et N. Sanhaji (coord.), Le Pli juridique, Droit pénal – Evolutions récentes, Limal, Anthemis, pp. 110 à 120). La motivation du jugement met en avant le mise en balance le vol simple de bâches destiner à être exhibées dans le cadre de manifestations face à une question majeure d’intérêt public et sociétal que constitue le réchauffement climatique pour conclure dans le fait que les poursuites constituent une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression des prévenus en raison du contexte de leur agissement et leur accorde le bénéfice d’une cause d’excuse absolutoire.

Le Procureur du Roi ayant relevé appel de cette décision, la Cour d’appel de Liège.

La Cour d’appel de Liège craint de ne pas pouvoir faire usage d’une cause d’excuse dans le cadre de l’instruction de ce dossier, l’article 78 du Code pénal prévoyant la légalité de ces excuses et aucun texte ne le prévoyant, en ce qui concerne les problèmes de transition énergétique l’article 19 de la Constitution lu combinaison avec l’article 10.2 de la Convention européenne dans la mesure où ses dispositions permettent des poursuites lorsque des infractions sont commises à cette occasion.

Elle entend néanmoins inscrire son raisonnement dans le courant amorcé par la Cour européenne des droits de l’homme qui invite les juridictions nationales à répondre à l’urgence de la menace engendrée par le changement climatique. La Cour d’appel met également en évidence le fait que l’article 23 de la Constitution garantit le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine, ce qui protège les citoyens contre recul du niveau de protection du droit à un environnement sain.

Dès lors, avant de statuer sur le fond, elle pose, à la Cour constitutionnelle, par arrêt du 9 janvier 2025,  la question préjudicielle suivante : « L’article 78 du Code pénal est-il contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, ainsi qu’au principe de l’Habeas corpus, pris en combinaison avec les articles 19 et 23 de la Constitution et l’article 10.2 de la Convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où il ne permet pas, dans le cadre d’un contrôle strict de proportionnalité, d’examiner la responsabilité pénale de personnes poursuivies pour des actes visant à alerter l’opinion publique sur l’urgence du changement climatique, et qui se prévalent de la désobéissance civile écologique non violente en tant que cause d’excuse fondée sur leur droit à la liberté d’expression ? » (voyez B. Havet, Activisme climatique et désobéissance civile : reconnaissance par les juridictions belges de la cause d’excuse déduite de la liberté d’expression?, note sous Corr. Flandre-Occidentale, div. Bruges (ch. B.17), 15 nov. 2023, in, Rev. dr. pén. Entr., n°2025/1, Bruxelles, Larcier, 2025, pp 61 à 70).

Raisonnement de la Cour constitutionnelle

En ce qui concerne la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution et avec le principe de l’habeas corpus, lus en combinaison avec les articles 19 et 23 de la Constitution et avec l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour n’examine pas le moyen dans la mesure où cette incompatibilité ne permettrait pas, dans le cadre d’un contrôle strict de proportionnalité, d’examiner la responsabilité pénale de personnes poursuivies pour des actes visant à alerter l’opinion publique sur l’urgence du changement climatique, et qui se prévalent de la désobéissance civile écologique non violente en tant que cause d’excuse fondée sur leur droit à la liberté d’expression.

Elle limite donc son analyse à la compatibilité de l’article 78 du Code pénal à l’article 19 de la Consitution et à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui organisent la protection de la liberté d’expression.

Pour la Cour, laquelle se réfère à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, la protection offerte par la liberté d’expression ne se limite pas aux paroles ou aux écrits mais également aux comportements notamment à l’occasion de la commission d’une infraction de droit commun délibérément commise en vue d’exprimer une opinion et une conviction en matière de lutte contre le changement climatique (CEDH, 3 juillet 2025, Ludes e.a. c. France).

Ces deux dispositions ne s’opposent pas à la répression des délits commis à l’occasion de l’usage de cette liberté, mais, dans l’hypothèse d’une telle ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression, il convient de vérifier si celle-ci est prévue par la loi, si elle poursuit un ou des buts légitimes au regard de l’article 10, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme et si elle apparaît nécessaire dans une société démocratique (CEDH, 3 juillet 2025, Ludes e.a. c. France, précité).

La juridiction doit vérifier si :

  • les faits commis ont délibérément été commis pour exprimer une conviction couverte par la liberté d’expression ;
  • l’ingérence est prévue par la loi (en l’occurrence la prévention de vol, visées par les articles 461 et 463 du Code pénal) et poursuit un des buts énumérés à l’article 10§2 de la Convention à savoir la défense de l’ordre et la prévention du crime ;
  • l’ingérence est nécessaire dans une société démocratique. Dans ce cadre, il convient de mettre en balance les intérêts en jeu et d’évaluer la proportionnalité de la mesure en soulignant que la nature et la lourdeur des peines infligées sont des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité de l’ingérence et le prononcé d’une condamnation pénale constituait l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression. Enfin, elle rappelle qu’il est fondamental, dans une société démocratique, d’accorder la plus grande importance à la liberté dans le contexte du débat politique. Il en résulte que la marge d’appréciation dont disposent les autorités pour juger de la ‘ nécessité ’ d’une mesure litigieuse dans ce contexte est donc ‘ particulièrement restreinte ’.

Pour la Cour, dans ce cadre, la protection de l’environnement constitue un sujet d’intérêt général et cite à cet égard, des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH, 7 novembre 2006, Mamère c. France ; grande chambre, 22 avril 2013,  Animal Defenders International c. Royaume Uni) ainsi que son avis du 13 juillet 2022 et l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 23 juillet 2025 relatif aux obligations des Etats en matière de changement climatique pour rappeler l’importance des obligations qui incombent aux États en application du droit international conventionnel et coutumier en matière de protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre.

La Cour déduit de ces décisions et avis qu’il s’ensuit que les autorités nationales disposent d’une marge d’appréciation particulièrement restreinte et qu’elles doivent faire preuve de retenue quant à l’usage de la voie pénale dans le cadre de l’exercice de la liberté d’expression s’inscrivant dans la lutte contre le changement climatique.

Dans l’hypothèse de procédures pénales intentées à la suite de cet exercice, la juridiction pénale est tenue de réaliser un contrôle de proportionnalité de l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression.

Si l’arrêt mentionne que, de manière générale, le juge doit respecter le principe de proportionnalité des peines et veiller à ce que la sanction soit proportionnée à la gravité du comportement punissable, le cas échéant en les réduisant en cas de circonstances atténuantes laissée à la libre appréciation du juge ou, le cas échéant, en prononçant la suspension du prononcé de la condamnation, elle relève que « La Cour de cassation a admis qu’une cause d’excuse peut découler des droits et libertés garantis par la Convention européenne des droits de l’Homme (Cass. 6 janvier 1998).

 

Pour accéder à l’arrêt, suivez le lien https://fr.const-court.be/public/f/2025/2025-172f.pdf.

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