Le Tribunal régional de Varsovie, Pologne) avait, dans le cadre d’un litige avait, par décision du 21 décembre 2023, posé une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 2 de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JOUE 2004, L 134, p. 114).
Le litige opposait Miejskie Przedsiębiorstwo Wodociągów i Kanalizacji w m.st. Warszawie S.A. pouvoir adjudicateur à la société Veolia Water Technologies, à Krüger A/S, à OTV France, à Haarslev Industries GmbH et à Warbud S.A. un consortium d’entreprises au sujet du paiement de pénalités contractuelles et du versement d’une indemnité au titre de la mauvaise exécution d’un marché public de travaux pour la modernisation et l’extension de la station d’épuration de Czajka (Pologne).
La période de garantie ayant expiré, les relations entre les parties étaient régies, suivant le tribunal régional de Varsovie, par analogie, par l’article 581, paragraphe 1, du code civil, relatif à la garantie en matière de contrats de vente, qui prévoit que le délai de garantie court à nouveau à partir de la livraison d’une chose exempte de défaut ou de la restitution de la chose réparée, de sorte que, le 27 novembre 2018, les récupérateurs étaient encore couverts par la garantie, dont le délai avait recommencé à courir respectivement les 22 février et 28 avril 2016.
Le consortium d’entreprises conteste l’application de l’article 581, paragraphe 1, du code civil au motif que cette disposition ne concernerait que les contrats de vente et qu’il n’aurait été convenu à aucun moment qu’elle régirait, par analogie, la garantie dans le cadre du contrat de travaux en cause. Selon ce consortium d’entreprises, l’application de ladite disposition serait contraire aux principes de transparence, d’égalité de traitement et de concurrence énoncés par la directive 2004/18 et désormais repris dans la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65), en ce qu’elle reviendrait à lui opposer des exigences ne ressortant pas clairement du dossier d’appel d’offres ou de la réglementation polonaise en vigueur, mais seulement d’une interprétation, controversée, du code civil.
Le tribunal régional s’interrogeant sur la portée, dans ce cadre, des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination dans la jurisprudence de la Cour, et plus particulièrement sur le point de savoir s’il convient de transposer aux garanties applicables dans le cadre du contrat de travaux en cause au principal les appréciations retenues dans l’arrêt du 2 juin 2016, Pizzo (C‑27/15, EU:C:2016:404). Elle relève notamment que la connaissance du droit national conditionne la possibilité, pour les opérateurs concernés, de fixer leurs prix au juste niveau, et souligne que l’application par analogie des dispositions du code civil régissant la garantie en matière de contrats de vente pourrait désavantager les opérateurs économiques d’autres États membres par rapport aux opérateurs économiques nationaux.
Le Tribunal régional de Varsovie a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les principes de transparence, d’égalité de traitement et de concurrence loyale, visés à l’article 2 de la directive [2004/18] (actuellement, article 18, paragraphe 1, de la directive [2014/24]), doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation du droit national qui permet de déterminer les stipulations d’un contrat de marché public conclu avec un consortium composé d’entités de différents États membres de l’Union européenne en tenant compte, dans ce contrat, d’une obligation susceptible d’affecter indirectement la détermination du prix dans l’offre soumise par ce contractant, [obligation] qui n’est pas expressément prévue dans [ledit] contrat ni dans le dossier d’appel d’offres, mais qui découle d’une disposition du droit national non directement applicable [au même] contrat, ayant toutefois fait l’objet d’une application par voie d’analogie ? »
Dans son arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle que le principe d’égalité de traitement, qui appartient aux principes fondamentaux du droit de l’Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 6 octobre 2021, Conacee, C‑598/19, EU:C:2021:810, point 36 et jurisprudence citée).
Dès lors, les soumissionnaires doivent se trouver sur un pied d’égalité au moment où ils préparent leurs offres et a pour objectif de favoriser le développement d’une concurrence saine et effective entre les entreprises participant à un marché public (arrêt du 6 octobre 2021, Conacee, C‑598/19, EU:C:2021:810, point 37 et jurisprudence citée) et disposent des mêmes chances dans la formulation des termes de leurs offres et implique donc que ces offres soient soumises aux mêmes conditions pour tous les soumissionnaires (arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 110, et du 2 juin 2016, Pizzo, C‑27/15, EU:C:2016:404, point 36 ainsi que jurisprudence citée).
Ce principe d’égalité a pour corollaire l’obligation de transparence, qui a, quant à elle, pour but de garantir l’absence de risque de favoritisme et d’arbitraire de la part du pouvoir adjudicateur. Cette obligation implique que toutes les conditions et les modalités de la procédure d’attribution soient formulées de manière claire, précise et univoque dans l’avis de marché ou dans le cahier des charges.
Suivant la Cour de justice de l’Union européenne, l’article 10 de la directive 2004/17 énonce ces exigences en prévoyant explicitement que les entités adjudicatrices traitent les opérateurs économiques sur un pied d’égalité, de manière non discriminatoire et agissent avec transparence.
Pour la Cour le pouvoir adjudicateur est tenu d’observer strictement les critères qu’il a lui-même fixés jusqu’au terme de la phase d’exécution du marché. Il n’est dès lors pas autorisé à altérer l’économie générale d’une adjudication en modifiant unilatéralement, après celle-ci, une des conditions essentielles de cette adjudication, en particulier une stipulation qui, si elle avait figuré dans l’avis de marché, aurait conduit les soumissionnaires concernés à soumettre une offre substantiellement différente (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, points 115 et 116).
La durée de la garantie et des conditions essentielles de sa mise en œuvre sont importante pour la détermination des conditions financières des offres présentées par les soumissionnaires. Elles doivent dès lors être clairement définies et rendues publiques, afin de permettre à ces soumissionnaires de comprendre exactement les conditions juridiques et économiques auxquelles l’octroi du marché en cause et les modalités de son exécution sont subordonnés
A ce titre, le soumissionnaire doit être en mesure d’identifier, dès la phase d’adjudication, les événements susceptibles, le cas échéant, de prolonger le délai de garantie ainsi que l’étendue des obligations pouvant lui incomber dans le cadre de l’exécution du contrat en cause.
La Cour relève que la charte de garantie contenue dans le contrat de travaux en cause et liant les cocontractants au principal prévoyait expressément une garantie d’une durée de 36 mois, ayant pour point de départ la date de délivrance de l’attestation de bonne exécution des travaux, et renvoyait à l’application, mutatis mutandis, des dispositions pertinentes du droit polonais, en particulier du code civil, pour les questions non régies par cette charte, ce qui rendait applicable au contrat de travaux en cause au principal l’article 581, paragraphe 1, du code civil, relatif à la garantie en matière de contrats de vente faisant courir un nouveau délai de garantie.
La Cour rappelle que le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Par contre, il appartient en revanche à la Cour de fournir à la juridiction nationale les éléments d’interprétation du droit de l’Union pouvant s’avérer nécessaires à la solution du litige au principal, tout en tenant compte des indications que comporte la décision de renvoi quant au droit national applicable audit litige et aux faits caractérisant ce dernier (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C‑357/19, C‑379/19, C‑547/19, C‑811/19 et C‑840/19, EU:C:2021:1034, point 134 ainsi que jurisprudence citée).
Pour la Cour de justice de l’Union européenne la directive 2004/18 ne s’oppose pas, en principe, à un renvoi, dans l’avis de marché ou le cahier des charges, à des dispositions législatives ou réglementaires en ce qui concerne certaines spécifications techniques lorsqu’un tel renvoi est, en pratique, inévitable, pour autant que celui-ci soit accompagné de l’ensemble des indications complémentaires permettant la connaissance du droit national et la prévisibilité quand au degré de sécurité juridique que ce droit doit garantir aux opérateurs économiques dans le cadre des marchés publics qui est déterminante.
Pour la Cour, un simple renvoi au droit national tel que celui opéré par la charte de garantie n’apparaît pas de nature à permettre à un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent d’identifier suffisamment clairement, au stade de l’adjudication, que la mise en œuvre de la garantie dans le délai initial prévu par le contrat concerné est susceptible d’entraîner le déclenchement d’un nouveau délai de garantie, pas plus qu’il ne lui permet, a fortiori, d’identifier les obligations pouvant lui incomber dans le cadre de l’exécution de ce contrat.
Pour ces différentes raisons, la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit :
Que le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence tels que visés à l’article 10 de la directive 2004/17/CE du Parlement et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application par analogie à un contrat de travaux, en vertu d’une interprétation jurisprudentielle, de dispositions de droit national régissant la garantie en matière de contrats de vente dont la teneur n’a été expressément précisée ni dans les documents d’appel d’offres ni dans ce contrat de travaux, lorsque l’applicabilité de telles dispositions n’est pas suffisamment claire et prévisible pour un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent.
L’arrêt est disponible via le lien : https://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf;jsessionid=0CA5A0BB24FF4E620BC5CC55C6A64688?text=&docid=300964&pageIndex=0&doclang=FR&mode=req&dir=&occ=first&part=1&cid=1795867.