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Dans un arrêt du 28 octobre 2025 (Req. N°34068/21 – Greenpeace Nordic et autres c/ Norvège), la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’Homme a considéré que, si les États doivent protéger les individus contre les effets graves du changement climatique sur leur vie et leur santé (art. 8 CEDH), dans l’affaire concernant les licences d’exploration pétrolière en mer de Barents octroyées le 10 juin 2016, la Norvège dispose d’un cadre procédural garantissant une évaluation environnementale complète avant toute exploitation qui inclut les émissions de gaz à effet de serre, y compris celles liées à la combustion à l’étranger, et prévoit une consultation publique. Elle constate que, si les processus ayant abouti à la décision de 2016 n’étaient pas réellement exhaustifs et si, en particulier, l’évaluation des incidences de l’activité sur le climat a été reportée, rien n’indiquait qu’une évaluation reportée ait en soi été insuffisante pour étayer les garanties de l’État en matière de respect de la vie privée et familiale au sens de la Convention, la réglementation prévoyant cette évaluation avant toute mise en exploitation des gisements. Pour celle-ci, la réglementation norvégienne impose, en effet, avant toute autorisation permettant l’exploitation des gisements, une évaluation environnementale complète et fondée sur les meilleures données scientifiques disponibles, incluant la quantification des émissions de gaz à effet de serre, y compris celles liées à la combustion, même à l’étranger, l’évaluation de la compatibilité de l’activité avec les engagements climatiques nationaux et internationaux ainsi qu’une consultation publique effective, lorsque toutes les options restent ouvertes

Dans cette affaire, différents requérants personnes physiques et Greenpaece Nordic ASBL active depuis 1988 qui poursuit une action collective de protection des droits de l’homme contre le changement climatique et d’autres associations ont introduit une action contre le Gouvernement norvégien en ce qui concerne des licences d’exploitation de gisements pétroliers en mer de Barents.

 

Rétroactes

Cette affaire porte sur l’aspect procédural de l’obligation de protéger efficacement les individus contre les effets néfastes graves des changements climatiques sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie. Les parties requérantes soulevaient principalement des questions au regard de l’article 8 de la Convention, en ce qu’elles considéraient que le processus décisionnel relatif à l’évaluation d’impact environnemental lors de la procédure d’autorisation d’exploration pétrolière préalable à la production de pétrole aurait comporté des lacunes.

Le 10 juin 2016, le ministère a octroyé dix permis de production de gaz de pétrole sur le plateau continental norvégien en vertu de l’article 3-3 de la loi norvégienne sur le pétrole. Sept de ces permis (quatorze blocs) concernaient des zones « matures » du sud de la mer de Barents, tandis que trois permis (vingt-six blocs) concernaient des zones « non matures » du sud-est de la mer de Barents. Les bénéficiaires de ces permis étaient treize sociétés privées.

En décembre 2020, sept puits d’exploration avaient été forés sur les blocs du 23e cycle d’octroi de permis : trois dans le sud de la mer de Barents et quatre dans le sud-est de la mer de Barents.

Finalement, toutes ces licences ont été restituées par les sociétés aucune découverte de gaz potentiellement rentable n’ayant été réalisée.

Une nouvelle licence de production, la n° 1170, a été délivrée et est valable jusqu’au 11 mars 2030.

Elle a permis la découverte de deux importants gisements de gaz. Un de ces gisements, le gisement dit de « Wisting » est la plus grande découverte de pétrole non exploitée du plateau continental norvégien, avec des volumes estimés à environ 440 millions de barils équivalent pétrole.

Les deux puits ont été bouchés et abandonnés après évaluation, mais la découverte reste valable et ouverte à l’exploitation, soit par le forage de nouveaux puits d’évaluation, soit par raccordement à d’autres infrastructures.

Le 18 octobre 2016, les deux organisations requérantes ont introduit un recours en contrôle judiciaire contre la validité de la décision du 10 juin 2016 octroyant les licences de production délivrées lors du 23e cycle d’octroi.

Les organisations ont notamment fait valoir que la décision était contraire à l’article 112 de la Constitution relatif au droit à un environnement sain. Elles ont également soutenu que la décision d’octroyer les licences d’exploitation pétrolière dans le sud-est de la mer de Barents était invalide en raison de divers vices de procédure.

Le 4 janvier 2018, le tribunal municipal d’Oslo a jugé la décision contestée du 10 juin 2016 valide.

Les documents des demandeurs et les informations publiques disponibles confirment que, le 11 mars 2022, la Norvège a renouvelé la licence d’exploitation de la zone située au sud de la mer de Barents, partiellement couverte par l’une des licences de production contestées, dans le cadre du système dit d’accord préalable sur l’exploitation pour les zones matures, après la renonciation à la licence initiale pour cette zone. Différents recours ont été introduits contre la décision du tribunal municipal d’Oslo et, dans ce cadre, la Cour suprême de Norvège a examiné si l’évaluation des effets climatiques probables de l’ouverture du sud-est de la mer de Barents à d’éventuelles activités pétrolières futures était insuffisante, compte tenu de l’absence de mention spécifique des émissions en aval qui seraient générées par la combustion du pétrole et du gaz norvégiens exportés.

La Cour a relevé que toute extraction de pétrole consécutive à l’octroi d’une licence lors du 23e cycle d’octroi n’aurait lieu qu’en 2030 au plus tôt, soit 17 ans après la décision d’ouvrir la zone et 14 ans après la décision d’octroyer des licences de production. La Cour a alors conclu que, compte tenu de l’incertitude quant à la présence de pétrole, et quant à la quantité exploitable, le moment le plus opportun pour évaluer l’impact climatique global spécifique de l’extraction de pétrole serait celui où une autorisation de développement pétrolier (PDO) pourrait être approuvée. La Cour a également souligné qu’aucune conséquence environnementale globale significative ne surviendrait lors de l’ouverture de la zone à l’exploration ni pendant l’exploration elle-même : aucune émission significative ne serait enregistrée avant la réalisation de découvertes rentables, le dépôt d’une demande et l’octroi de licences de développement et d’exploitation.

Une évaluation d’impact, prenant en compte les émissions de gaz à effet de serre, devrait normalement être réalisée au stade de la demande d’autorisation de mise sur le marché, et le ministère pourrait refuser d’approuver L’autorisation de mise sur le marché ou imposer des conditions à son approbation.

La Cour suprême a conclu que, si le calcul de l’impact net des exportations norvégiennes de pétrole et de gaz sur les émissions mondiales était complexe et controversé, cet aspect avait été examiné de manière approfondie lors de l’ouverture à l’exploration du sud-est de la mer de Barents.

L’omission d’exemples d’émissions de gaz à effet de serre fondées sur un ou plusieurs volumes de production dans l’étude d’impact ne constituait donc pas une erreur de procédure pertinente pour l’ouverture du sud-est de la mer de Barents ni pour les permis de production du 23e cycle d’octroi, et ne les invalidait pas.

La conclusion de la Cour suprême de Norvège était qu’aucune erreur de procédure n’avait été commise concernant les effets climatiques lors de l’évaluation d’impact relative à l’ouverture du sud-est de la mer de Barents, les effets climatiques étant pris en compte politiquement de manière continue. Ces effets feraient l’objet d’une évaluation d’impact environnemental dans le cadre d’une éventuelle demande d’autorisation de production.

Pour la Cour suprême de Norvège, cette situation ne saurait invalider la décision d’attribuer les licences de production lors du 23e cycle d’octroi de licences en 2016.

Moyens soulevés par les requérants :

Les requérants ont fait valoir que la décision du 10 juin 2016 accordant dix permis de production pétrolière pour le plateau continental norvégien était contraire à l’obligation de la Norvège d’atténuer les changements climatiques, phénomène anthropique qui affectait négativement la vie, les conditions de vie et la santé des requérants et d’autres personnes dont les intérêts étaient représentés par les organisations requérantes en s’appuyant sur les articles 2 (droit à la vie) et 8 (droit à la protection de la vie privée et familiale) de la Convention.

La violation des articles 13 (interdiction des discriminations) et 14 (droit à un recours effectif) de la Convention européenne des droits de l’Homme est également invoqué.

Recevabilité des demandes

En ce qui concerne la recevabilité des demandes, lla Cour estime que pour pouvoir introduire un recours, il faut qualité pour agir c’est-à-dire disposer d’un lien suffisamment étroit entre la décision contestée d’octroi de permis d’exploration pétrolière et les graves conséquences du changement climatique sur la vie, la santé, le bien-être et la qualité de vie des personnes.

Faisant application des critères développés dans son arrêt VereinKlimaSeniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, elle conclut qu’en l’espèce, les requérants individuels ne remplissent pas les conditions requises pour être considérés comme victimes.

Elle considère que les organisations requérantes remplissent les critères pertinents de qualité pour agir et sont donc habilitées à agir au nom de leurs membres et/ou d’autres personnes affectées par l’acte administratif critiqué.

Fondement des demandes

 Articles 2 et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme

En ce qui concerne la violation de l’article 8 de la Convention (protection de la vie privée et familiale), la Cour réaffirme que l’obligation de l’État, au titre de l’article 8, est de contribuer à assurer la protection effective, par les autorités de l’État, des personnes relevant de sa juridiction contre les effets néfastes graves sur leur vie, leur santé, leur bien-être et leur qualité de vie, résultant des effets et risques liés aux changements climatiques. Dans ce contexte, le devoir primordial de l’État est d’adopter et d’appliquer effectivement, dans la pratique, des réglementations et des mesures susceptibles d’atténuer les effets actuels et futurs, potentiellement irréversibles, des changements climatiques. Cette obligation découle du lien de causalité entre les changements climatiques et la jouissance des droits garantis par la Convention, et du fait que l’objet et le but de la Convention, en tant qu’instrument de protection des droits de l’homme, exigent que ses dispositions soient interprétées et appliquées de manière à garantir des droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires.

La Cour réaffirme que les États disposent d’une large marge d’appréciation quant aux moyens de mettre en œuvre leurs obligations climatiques.

Cela inclut les choix opérationnels et l’adoption de politiques visant à atteindre les objectifs et engagements internationalement convenus en matière de lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes, compte tenu des priorités et des ressources de l’État (voir l’arrêt Verein KlimaSeniorinnen Schweiz et autres).

Parallèlement, la Cour a examiné les données scientifiques relatives aux conséquences des changements climatiques sur les droits garantis par la Convention. Elle a également pris en compte les données scientifiques démontrant l’urgence de lutter contre les effets néfastes des changements climatiques ; la gravité de leurs conséquences, notamment le risque sérieux d’irréversibilité ; et la reconnaissance scientifique, politique et jurisprudentielle d’un lien entre les effets néfastes des changements climatiques et la jouissance des droits de l’homme (sous diverses formes).

A ce sujet, la Cour souligne l’urgence de lutter contre le changement climatique, la gravité des risques irréversibles, et le manque d’action passé des États, confirmés par les travaux du GIEC.

Ainsi, la protection du climat doit peser fortement dans toute mise en balance avec d’autres considérations.

En ce qui concerne l’application de ces au cas d’espèce, la Cour examine si la procédure d’autorisation de l’exploration pétrolière du 10 juin 2016 dans le sud et sud-est de la mer de Barents respectait les obligations procédurales de l’État norvégien.

Selon la Cour européenne des droits de l’Homme, un État doit effectuer, avant toute autorisation d’activités potentiellement dangereuses, une évaluation environnementale complète et fondée sur les meilleures données scientifiques disponibles, incluant :

  • la quantification des émissions de gaz à effet de serre, y compris celles liées à la combustion, même à l’étranger ;
  • une évaluation de la compatibilité de l’activité avec les engagements climatiques nationaux et internationaux ;
  • une consultation publique effective, lorsque toutes les options restent ouvertes.

La Cour observe que d’autres juridictions internationales (Tribunal du droit de la mer, Cour interaméricaine des droits de l’homme, Cour de justice de l’AELE, Cour internationale de justice) ont reconnu cette même obligation procédurale d’évaluer l’impact climatique des projets.

Elle constaté, en ce qui concerne la Norvège que :

  • La Norvège a ratifié les principaux accords climatiques et dispose d’un cadre juridique national détaillé.
  • Le processus norvégien comporte trois étapes :
  1. L’ouverture d’une zone à l’exploration (avec évaluation environnementale stratégique et consultation publique) ;
  2. L’octroi de licences d’exploration (sans évaluation obligatoire) ;
  3. Un plan de développement et d’exploitation (PDO) pour l’extraction (avec évaluation environnementale et consultation, mais parfois dispensées).

Les requérants contestaient l’absence d’évaluation climatique complète au stade de la licence (décision du 10 juin 2016) et la déférence au stade ultérieur du plan de développement et d’exploitation, craignant que cela retarde ou affaiblisse la protection.

La Cour reconnaît que l’évaluation initiale de 2016 n’était pas complète, plusieurs aspects climatiques ayant été reportés à plus tard.

Toutefois, elle note que :

  • aucune entreprise ne peut exploiter sans une autorisation relative au plan de développement et d’exploitation, qui doit inclure une évaluation climatique complète ;
  • la Cour suprême de Norvège a réaffirmé l’obligation constitutionnelle de refuser un plan de développement et d’exploitation incompatible avec la protection du climat ;
  • des garanties légales et jurisprudentielles (EFTA, gouvernement norvégien) assurent que les effets climatiques, y compris les émissions de combustion, seront évalués avant toute extraction.

La Cour européenne de sauvegarde des droits de l’Homme en conclut que la procédure norvégienne, dans son ensemble, garantit une évaluation adéquate et transparente des impacts climatiques avant toute autorisation d’exploitation pétrolière et que les personnes ou organisations non gouvernementales concernées peuvent contester ces décisions en justice.

Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Articles 13 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme

En ce qui concerne la violation des articles 13 et 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme, Les requérants soutenaient que la politique climatique de la Norvège et la décision d’octroyer des licences pétrolières violaient l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de discrimination). Selon eux, ces mesures touchaient de manière disproportionnée les jeunes générations et la population autochtone Sámi, et ils n’avaient pas pu participer au processus décisionnel.

Pour la Cour, ces griefs étaient irrecevables, car ils n’avaient pas été soulevés devant les juridictions nationales. Pour celle-ci, les arguments de discrimination n’avaient jamais été présentés, même en substance, devant les tribunaux norvégiens. Les requérants n’avaient donc pas épuisé les voies de recours internes, rendant leur plainte irrecevable en vertu de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

Les requérants invoquaient également une violation de l’article 13 (droit à un recours effectif), estimant que les juridictions norvégiennes avaient examiné leur affaire de manière superficielle. La Cour rejette également cet argument. En effet, les tribunaux nationaux avaient étudié en détail leurs revendications relatives aux articles 2 et 8, et le fait que leurs conclusions puissent différer de celles de la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’Homme ne signifie pas qu’ils n’ont pas offert de recours effectif.

 pour accéder à l’arrêt, suivez le lien suivant : https://hudoc.echr.coe.int/fre#{%22itemid%22:[%22001-245561%22]}.

 

 

 

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